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Jusqu'où ira l'envolée des taux d'intérêt ? Bilan & perspectives

Pendant plusieurs décennies, l'inflation, c'est-à-dire la hausse des prix des biens et services, est restée basse. Mais, depuis l'été 2021, elle a brusquement augmenté, d’abord aux États-Unis puis en Europe et ailleurs dans le monde. 

Les principales causes sont surtout conjoncturelles : la réouverture soudaine de l'économie après la pandémie, la relance budgétaire massive, la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l'énergie. À côté de cela, des facteurs structurels apparaissent également : les changements de comportements des consommateurs qui influent sur l'offre et la demande, la transition énergétique et son impact sur les prix de l'énergie, ainsi que la relocalisation de certaines capacités de production compte tenu de la nouvelle situation géopolitique.

Les banques centrales, attachées à la stabilité monétaire, ont longtemps considéré que le phénomène ne serait que passager. Désormais, elles resserrent leur politique à un rythme inégalé car l'inflation semble s'installer. Toujours plus haut, toujours plus vite et pour plus longtemps, telle semble être la direction de la trajectoire monétaire, sous l'impulsion de la Réserve fédérale américaine, qui donne le ton et entraîne dans son sillage bon nombre d'autres banques centrales. Le danger, c'est la stagflation (combinaison de stagnation économique et de forte inflation), une situation qui serait durablement néfaste pour les ménages, les entreprises et les gouvernements.

Net resserrement général de la politique monétaire

Si l'été a offert un peu de répit sur le front des taux d'intérêt, le symposium de Jackson Hole, qui réunit chaque année à la fin août les représentants des principales banques centrales de la planète, a douché les espoirs d'un début d'accalmie. Le président de la Réserve fédérale américaine (Fed) a en effet martelé à cette occasion qu'il faut continuer jusqu'à ce que le travail soit fait. Même son de cloche de la part de la BCE qui a affirmé qu'il fallait agir avec détermination pour que l'inflation ne s'incruste pas.

Ces discours musclés ont conduit à de nouvelles hausses soutenues des taux directeurs en septembre de 75 points de base pour le Fed et la BCE. La rhétorique agressive répétée, loin d'être la première du genre cette année, a une fois de plus surpris les investisseurs. Résultat des courses : les taux d'intérêt sur les marchés obligataires ont continué leur ascension tous azimuts. Ainsi, à fin septembre, les taux souverains à 10 ans se situent à leur plus haut depuis 2011 pour le Bund allemand (2,10%) et depuis 2008 pour le bon du Trésor américain (3,75%).

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Réserve fédérale américaine : volonté d'aller en territoire restrictif

Depuis le début de l'année, la hausse cumulée des taux directeurs de la Fed est de 300 points de base (à 3,25%), soit le cycle monétaire le plus agressif de ces 30 dernières années. Pour la BCE, le relèvement est 175 points base (à 0,75%) en l'espace de deux réunions.

Et ce n'est pas fini. Outre-Atlantique, le taux d'intérêt actuel est déjà plus élevé que lors du précédent cycle de resserrement monétaire et nous arrivons en territoire restrictif, c'est-à-dire un niveau pénalisant pour l'économie. La Fed a averti que la lutte contre l'inflation serait douloureuse mais qu'y renoncer serait encore plus dommageable à terme. Elle ne s'arrêtera que lorsque l'inflation baissera de manière convaincante.

Ses intentions futures ont été significativement revues à la hausse, et montrent un pic de taux autour de 4,6% à fin 2023 avant de refluer quelque peu par la suite.

Paul Volcker comme un brillant exemple

L'actuel président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, semble de plus en plus s'inspirer de la politique monétaire très agressive de Paul Volcker, son illustre prédécesseur qui a terrassé le dragon de l'inflation au début des années 1980.

Dans son histoire récente, la Fed n'a jamais clos un cycle de hausse des taux en laissant le taux réel des fonds fédéraux en territoire négatif. Cela signifie qu'elle va continuer à faire monter son taux directeur jusqu'à ce qu'il dépasse l'inflation. Sachant que l'indicateur-clé d'inflation utilisé par la Fed (core PCE) a oscillé entre 4,5% et 5% au cours des derniers mois, et semble se stabiliser à un niveau légèrement inférieur à son plus haut récent, il est probable que le pic de taux de la Fed se situe également dans cette fourchette - voire au-delà si la hausse des prix ne s'estompe pas sensiblement, et pour autant que la situation économique ne se dégrade pas de trop.

Coup d'accélérateur pour la Banque Centrale Européenne

Dernièrement, le gouverneur de la Banque de France a déclaré s'attendre à voir le taux de dépôt de la BCE remonter à près de 2% d'ici la fin de l'année, un niveau qu'il juge être neutre, c'est-à-dire qui ne favorise ni ne pénalise la croissance économique.

Une fois ce seuil atteint, la BCE devra déterminer si l'inflation est en bonne voie d'être ramenée dans les clous. À ce stade, ce n'est pas le cas, l'inflation européenne continuant de grimper mois après mois pour désormais franchir les 10%. Les projections récentes de la BCE ne montrent pas une convergence suffisante dans les prochaines années vers l'objectif de 2%.

Bien que les moteurs de l'inflation diffèrent des deux côtés de l'Atlantique, il est probable que l'institution de Francfort pousse également les taux en territoire restrictif. C'est ce à quoi les marchés financiers s'attendent. Désormais, ils les voient atteindre 3% dans un an. Beaucoup d'incertitudes entourent cette anticipation, vu que la BCE ne communique aucune indication chiffrée en matière de taux. Cela étant, il faut se rappeler qu'elle a par le passé déjà porté ses taux à 3,25%, et même 3,75% lors des resserrements monétaires des années 2000, à une époque où l'inflation était moins galopante que maintenant.

Le fait que les marchés financiers s'attendent toujours à des taux plus élevés pour la Fed que pour la BCE concorde avec ce qui a été observé par le passé.

Cependant, si la Fed pousse encore plus haut qu'attendu, la BCE sera mise sous pression pour suivre le mouvement.​

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Atterrissage en douceur, récession ou stagflation ?

En durcissant de plus en plus leur politique monétaire, les banques centrales cherchent à faire reculer la demande de biens et de services afin de pouvoir rétablir un certain équilibre avec une offre restreinte. Elles font le pari que l'impact à la baisse sur l'inflation sera plus fort que celui sur l'économie. C'est en tout cas l'hypothèse défendue du côté américain.

Toutefois, ce ralentissement volontaire de l'économie est très délicat. Un trop grand coup de frein peut faire basculer les États-Unis dans la récession alors que l'économie mondiale est déjà à la peine.

Le patron de la Fed a également reconnu que l'hypothèse d'un atterrissage en douceur était de plus en plus mince. Sa capacité à gérer un ralentissement de l'inflation et à éviter une récession, dépend en grande partie de sa façon de contrôler le discours et à donner aux entreprises l'assurance qu'il ne s'agit que d'un choc temporaire. Il ne sera peut-être pas nécessaire de procéder à des licenciements massifs. Aussi, l'excellente santé du marché du travail offre encore à la Fed des marges pour agir de façon agressive. Un atterrissage brutal n'est pas inévitable et n'est pas véritablement intégré par les économistes.

En revanche, l'impact de la crise énergétique sera nettement plus marqué en Europe qu'aux Etats-Unis. Un ralentissement de l'activité au cours des prochains trimestres paraît inéluctable sur le Vieux Continent. Une légère récession est même probable.

La BCE semble n'avoir d'autre choix que d'aggraver les effets du choc énergétique en détruisant encore plus la demande. Les mesures de relance budgétaire et la faiblesse de la monnaie unique rendent la tâche d'autant plus difficile. C'est la raison pour laquelle la politique monétaire pourrait finir par être plus restrictive en zone euro qu'aux États-Unis.

À contrario, si le durcissement monétaire s'avère trop pénible pour l'économie et les finances publiques, le risque existe de voir la banque centrale européenne stopper ses efforts et laisser l'économie glisser vers une stagflation plus durable.

Si la direction que prendra l'économie est très incertaine et potentiellement divergente d'une région à l'autre, ce qui semble plus probable, est que l'on assistera, dans le futur, à un pivot de la part de la Fed. Cela signifie un changement de cap monétaire vers une stabilisation, sans doute suivie d'un assouplissement.

Ne pas vendre la peau de l'inflation avant de l'avoir tuée

Le contexte sur les marchés financiers est et reste très fébrile. Beaucoup dépendra de ce qu'il adviendra de l'inflation, qui s'avère beaucoup plus difficile à maîtriser que prévu.

Outre-Atlantique, nous sommes déjà plus avancés dans ce processus avec des taux d'intérêt plus élevés et une trajectoire un peu plus précise qu'en Europe. Il y a donc légèrement moins de volatilité qu'en Europe, où les prix des obligations connaissent des hauts et des bas plus importants.

À cela, il faut ajouter une meilleure adéquation entre les attentes du marché concernant les taux monétaires et les taux obligataires aux États-Unis. En revanche, en zone euro, le risque de voir à nouveau la courbe des taux des emprunts d'Etat poussée à la hausse est réel.

Les récents remous provoqués par des mesures budgétaires britanniques, jugées difficilement soutenables ou peu crédibles, sur la devise, les attentes de taux et les obligations souveraines locales n'ont fait qu'exacerber une volatilité déjà très élevée.

Si la violente correction des cours des obligations depuis le début de l'année est inédite, les taux d'intérêt ont globalement progressé de 2,5 à 3,0% sur la même période. Cela ouvre des opportunités d'investissement, notamment dans l'univers des obligations d'entreprises européennes où le rendement offert est d'environ 4%.

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Par ailleurs, le resserrement monétaire pèse énormément sur les valorisations des actions, avant même que le ralentissement économique, la récession éventuelle et les bouleversements géopolitiques ne soient totalement intégrés.

En clair, si d'un point de vue historique, les actions sont devenues plus attrayantes au regard du ratio cours/bénéfices, les soubresauts sur les taux d'intérêt vont encore persister alors que pointe le spectre d'une révision à la baisse des prévisions des résultats d'entreprises.

À cet égard, les États-Unis se trouvent sans doute en meilleure posture que l'Europe. De ce fait, à court terme, les actifs américains apparaissent moins vulnérables que leurs équivalents européens. À plus long terme, un rebond progressif peut être envisagé.

Pour cela, il est vivement souhaitable que les banques centrales réussissent à dompter l'inflation. En particulier la Réserve fédérale américaine, car c'est elle qui détermine la « météo » des marchés financiers.

Son refus de toute complaisance à l'égard de l'inflation n'est pas sans risque sur la croissance. Mais c'est le prix à payer pour maintenir le cap avant de pouvoir amorcer, par la suite, un pivot de la politique monétaire, lequel devrait être un facteur stabilisateur et de soutien.

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